Il est arrivé chez nous un peu par hasard. Un sms vers 14h me demandait s’il restait un lit où dormir précisant, « sinon j’ai ma tente ». Les deux pèlerins qui le précédaient venaient de débarquer leurs sacs. Ils m’ont demandé direct : « C’est Bertrand ? »
La veille, en dortoir, Bertrand avait réveillé toute la chambrée avec ses ronflements. Quand il a sonné, j’ai vu un type costaud, affublé un chariot à grosses roues, portant un barda impressionnant. Magnanime, je l’ai installé à l’étage du dessus, seul. Son drôle d’attirail intriguait. Sûrement compliqué à tirer en terrain escarpé ?
« Pas le choix » m’a dit Bertrand, indiquant un dos en apparence carré pourtant lourdement éprouvé. A 37 ans, le verdict tombe. Fibromyalgie, une maladie neuro dégénérative qui le laisse 21 mois cloué au lit. Il est ingénieur en informatique, divorcé, trois enfants, amoureux de nouveau, plus sédentaire que la moyenne de part son métier, légèrement plus angoissé, mais rien ne le prépare à ce qui va venir. La douleur broie sa vie, chasse la femme qu’il aime. Ajoutez la fatigue, l’hypersensibilité à la lumière, les troubles cognitifs qui l’empêcheront de retravailler « normalement ».
Les années passent. Les hivers, surtout, sont terribles. Il souffre plus, obligé alors de se médicamenter lourdement. Sa tête s’enfonce. Il mange pour oublier. Mais le surpoids n’arrange rien.
En 2017 il déménage de Lyon à Aix-les-Bains. L’air de la montagne, l’appel des sommets. Lors de sa première cure à Saint-Laurent-les-Bains, il se dit que remarcher est la solution. 500 m plus loin, il fait de mi-tour. Trop dur. Ses médecins, infirmières, compagnes et compagnons de cure l’encouragent. En 2019, il fait l’acquisition de Willy, son charriot, qu’il embarque sur le chemin de Stevenson. Un test-crash, comme il dit. Le chemin n’a rien d’une promenade de santé. Et Willy pèse son poids, 20 kg, quand il faut le soulever dans les passages où les roues refusent d’avancer. Sur un tronçon, il le portera pendant 3 kms. Miracle. Ça passe. Et ça se passe. Bertrand oublie la douleur ou c’est la douleur qui l’oublie.
« Quand je marche, je revis ».
Deux ans plus tard, il est en Galice, à la pointe Finisterre de l'Espagne. Il a marché 88 jours. Perdu 30 kg.
« J’en ai lâché mes médicaments ».
Au retour, ils le rattraperont.
« C’est à vie, ce traitement ».
À EDF, ses collègues le soutiennent. Son chef de service est un gars humain. Cette année, il a pu poser 66 jours de congés. Il se donne 100 jours pour parcourir 2500 km jusqu’à Compostelle en Espagne et Fatima au Portugal. Bertrand vient d’avoir 57 ans. Il y a 20 ans que la maladie lui a volé sa vie. A sa manière, il lui a donné rdv sur ce chemin. Comme il a donné rdv à tous ses compagnons de vie d’aujourd’hui, ceux de la cure qui ne pourront jamais remarcher mais le suivent via une appli. Bertrand fait des photos. Et partage son récit. Comme ici. Quand il est passé à Lodève, il ne marchait que depuis 7 jours.
Quand il sera arrivé au bout, je vous raconterai la suite. Bertrand, Willy, soyez forts !
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